En 1965, la France adopte un dispositif législatif qui bouleverse les critères d’accès à la nationalité et modifie les logiques migratoires établies depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Contrairement aux attentes, cette loi ne procède ni d’un simple alignement sur les modèles étrangers ni d’une volonté explicite d’ouverture ou de fermeture.Le contexte politique et social de l’époque façonne un texte qui introduit des critères inédits, parfois contradictoires, entre volonté d’intégration et contrôle accru. Les débats qui entourent son adoption révèlent des tensions persistantes sur la définition de l’appartenance nationale et les modalités d’accueil des étrangers.
Une France en mutation : le contexte politique et social des années 1960
À la croisée des années 60, la France se transforme en profondeur. Le pays, marqué par la reconstruction et la croissance d’après-guerre, fait appel à une main-d’œuvre étrangère sans précédent. Travailleurs immigrés recrutés par l’Office national de l’immigration, logements en foyers de travailleurs migrants, l’industrie, le bâtiment, l’agriculture, tous les secteurs cherchent à répondre à la demande économique en puisant dans ce vivier venu d’ailleurs.
Mais le quotidien de l’intégration n’est pas uniforme. D’un côté, la société manifeste de l’hospitalité ; de l’autre, la discrimination s’installe. Les institutions scolaires oscillent entre inclusion et ségrégation pour les enfants d’immigrés. L’accès aux soins, pris en charge par les institutions sanitaires, révèle de fortes inégalités. Syndicats et associations s’engagent, défendant les droits des travailleurs étrangers et accompagnant l’arrivée des nouveaux venus.
Dans les villes moyennes, loin des débats parisiens, l’intégration se vit chaque jour, loin des projecteurs. L’INED décortique les flux migratoires et leurs effets sur la société. L’IHTP étudie la mémoire collective de l’accueil et du rejet. Sur le terrain, Anne Kerlan, Michel Hastings, Bénédicte Héraud, multiplient les enquêtes, mettant en lumière la complexité des trajectoires, les attentes, les tensions, les espoirs.
La politique migratoire en place ne se limite pas à une gestion administrative : elle s’inscrit dans une histoire marquée par deux conflits mondiaux, durant lesquels la France a appris tant bien que mal à ouvrir ses portes. Ce passé ressurgit dans les débats, attise peurs et solidarités, et crée le terreau sur lequel s’élabore la loi sur l’immigration et la nationalité de 1965.
Pourquoi la loi sur l’immigration et la nationalité de 1965 a-t-elle vu le jour ?
La loi sur l’immigration et la nationalité de 1965 intervient alors que la gestion des flux migratoires s’impose comme une priorité. L’arrivée de travailleurs étrangers nécessaires à l’expansion économique pousse le gouvernement à organiser, à réguler, à clarifier. L’heure est venue de mettre de l’ordre, d’harmoniser les procédures, d’éviter que l’arbitraire ne s’infiltre dans les pratiques, tout en préservant la cohésion du tissu social.
Voici les principales raisons qui expliquent la mise en place de cette loi :
- À l’instar d’autres pays européens comme l’Allemagne, l’Italie, la Belgique ou le Royaume-Uni, la France se dote de lois pour maîtriser les conditions de séjour des étrangers.
- Le ministère de l’Intérieur centralise les procédures, et le Conseil d’État encadre les recours.
- Le Commissariat général aux réfugiés arbitre sur le droit d’asile, dans une période où les tensions internationales et l’évolution du droit européen rendent la tâche particulièrement délicate.
À cette pression migratoire s’ajoute une demande sociale croissante. Les institutions scolaires et sanitaires doivent évoluer, les syndicats défendent les droits des arrivants. La loi cherche alors à trouver l’équilibre entre contrôle et ouverture, à limiter les dérives tout en veillant au respect des droits fondamentaux. Ce texte va bien au-delà d’une simple réforme administrative : il s’agit de trancher sur la question de l’identité nationale, de définir la place de chacun dans une France qui s’interroge sur son avenir et sur sa mémoire migratoire.
Droit du sol, asile, droits des étrangers : ce que la loi de 1965 a changé
La loi sur l’immigration et la nationalité de 1965 rompt avec les habitudes du passé. Elle rebat les cartes pour les étrangers en France, tant sur le plan du droit du sol que sur le droit d’asile ou les droits sociaux.
Avec ce texte, la France revoit les conditions d’accès à la nationalité pour les enfants nés de parents étrangers sur son sol. Le droit du sol cesse d’être automatique : il dépend désormais d’une résidence stable et de la volonté d’intégration. La famille devient un enjeu majeur. Le regroupement familial se restreint au conjoint non séparé et aux enfants mineurs. L’objectif ? Réguler les arrivées sans ignorer la dimension familiale des parcours migratoires.
Les changements apportés par la loi se traduisent notamment par les points suivants :
- Le droit d’asile est soumis à des règles plus strictes : la convention de Genève sert de référence, mais l’accès se durcit, avec par exemple la création de listes de pays d’origine sûrs et la possibilité de réexaminer certains dossiers.
- Les sanctions contre l’immigration clandestine sont alourdies, visant autant les employeurs que les travailleurs sans titre de séjour.
- Les transporteurs doivent répondre à des obligations renforcées pour chaque passage de frontière, sous peine de sanctions.
Si la loi de 1965 ne supprime pas le principe d’accueil, elle impose des frontières claires entre les droits des nationaux et ceux des étrangers en situation irrégulière. Cette distinction s’invite dans les débats de l’époque, que ce soit à l’école, dans les syndicats ou au sein des associations engagées pour les droits de l’homme.
Regards critiques et héritage : quelles leçons pour la politique migratoire actuelle ?
La loi sur l’immigration et la nationalité de 1965 demeure un repère dans les discussions publiques. Les chercheurs de l’INED et de l’IHTP continuent d’analyser ses conséquences, ses évolutions, ses limites. Sur le terrain, les politiques locales adaptent, interprètent, ou appliquent la loi selon les contextes. Certaines villes, appuyées par les associations, misent sur l’intégration ; d’autres privilégient le contrôle, ce qui accroît la précarité administrative chez les étrangers.
Les règles de la sécurité sociale et des prestations sociales sont régulièrement remises en question. Les débats sur l’accès aux droits pour les immigrés révèlent la tension constante entre les principes républicains d’égalité et le recours à des statuts d’exception. Les syndicats, en première ligne, défendent l’universalité des droits face au risque d’une différenciation qui pourrait ouvrir la voie à de nouvelles discriminations.
Trois tendances ressortent des analyses récentes :
- Les associations d’aide aux migrants constatent une multiplication des obstacles administratifs.
- Les études de l’INED montrent que la stabilité du séjour favorise l’intégration dans la société d’accueil.
- L’IHTP met en lumière, à travers ses enquêtes, la diversité des interprétations et des adaptations de la loi par les acteurs locaux.
La France, forte d’une longue histoire faite d’accueil et de méfiance envers l’étranger, n’a pas tranché entre ouverture et fermeture. Les pratiques varient selon les préfectures, les collectivités, ou le dynamisme associatif, dessinant une mosaïque de situations bien éloignée de l’image d’une politique unique et uniforme. L’héritage de la loi de 1965 se lit dans ces ajustements successifs, dans les débats qui agitent encore l’asile, le droit du sol et la reconnaissance de la dignité des personnes migrantes. Aujourd’hui, c’est à la lumière de ce passé que s’écrit la suite, et personne ne peut prédire de quel côté la balance penchera demain.


