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Ferroutage en France : Situation actuelle, enjeux et perspectives

3h27 du matin. Un convoi chargé de tomates glisse dans la nuit lyonnaise, effaçant quarante camions de la chaussée sans un bruit. Pourtant, ce ballet de fer et de silence reste l’exception. Sur les autoroutes, les poids lourds se succèdent, implacables, comme si le ferroutage n’était qu’un vœu pieux perdu au fond d’un rapport ministériel.

Comment expliquer ce paradoxe ? Sur le papier, le transport de marchandises par rail devait bouleverser la donne, libérer les routes, verdir la logistique. Mais derrière les discours, la réalité du fret ferroviaire en France ressemble à une longue partie d’échecs, où chaque avancée se heurte à une muraille d’intérêts, de contraintes techniques et de choix politiques.

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Chaque nuit, sur des rails parfois désertés, l’avenir du ferroutage continue de s’écrire – ou de s’effacer.

Où en est le ferroutage en France aujourd’hui ?

Le ferroutage en France oscille entre ambition affichée et réalité mitigée. Sur le plan théorique, le fret ferroviaire promet une révolution : routes désengorgées, baisse des émissions carbone, connexion stratégique à l’Europe. Mais sur le terrain, le contraste saute aux yeux.

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Avec un réseau ferré de près de 30 000 kilomètres, la France dispose d’atouts indéniables. Quelques axes tirent leur épingle du jeu. L’autoroute ferroviaire alpine relie Aiton à Orbassano, ouvrant la voie au ferroutage France-Italie via le tunnel du Mont-Cenis. La ligne Calais-Le Boulou assure chaque année le transit de plus de 60 000 camions du nord au sud. La liaison Perpignan-Luxembourg, suspendue en 2019, a vu son avenir remis en lumière par une promesse de relance gouvernementale.

Mais la SNCF Réseau et les opérateurs privés n’arrivent pas à détrôner le transport routier. Les trains de fret restent confinés sous la barre des 10 % du transport de marchandises national, loin de la moyenne européenne de 18 %. Le projet Lyon-Turin cristallise les espoirs d’un sursaut, mais le volume transporté demeure modeste à ce jour.

  • Calais-Le Boulou : plus de 1 000 km, colonne vertébrale nord-sud
  • Autoroute ferroviaire alpine : 170 000 camions transportés en 2023
  • Liaison Perpignan-Luxembourg : enjeu central dans les flux européens

Si le fret ferroviaire européen évolue, les infrastructures françaises peinent à suivre le rythme imprimé par la Suisse, l’Autriche ou l’Allemagne. Les ambitions de modernisation avancent à pas comptés, freinées par des arbitrages budgétaires qui reportent sans cesse les grands chantiers.

Enjeux économiques, environnementaux et logistiques : ce que le ferroutage change

Le développement du ferroutage s’inscrit dans le vaste mouvement de la transition énergétique et du Green Deal européen. Déplacer le transport de marchandises de la route vers le rail, c’est réduire la pollution et la dépendance au pétrole. Sur le plan climatique, le fret ferroviaire affiche un argument massue : il génère en moyenne huit fois moins de CO2 par tonne-kilomètre que le transport routier. La loi de transition énergétique fixe d’ailleurs une cible ambitieuse : augmenter la part du transport combiné de 50 % d’ici 2030.

Côté finances, les enjeux sont loin d’être anecdotiques. Le marché du transport ferroviaire de marchandises pèse près de 4 milliards d’euros par an en France. Miser sur le ferroutage, c’est désengorger les routes, réduire la facture énergétique nationale et offrir une logistique plus robuste aux industriels.

  • Moins de frais d’entretien pour les infrastructures routières
  • Baisse significative des émissions : jusqu’à 900 000 tonnes de CO2 en moins par an, d’après le Grenelle de l’environnement
  • Capacité à absorber les pics de trafic, un enjeu vital sur les grands corridors européens

Les investissements issus de la loi d’orientation des mobilités et des contrats de plan État-Région (CPER) visent à moderniser le réseau existant. Le report modal route-rail bouleverse la logistique et questionne la souveraineté industrielle du pays. Pour gagner en fluidité, les opérateurs misent sur l’interopérabilité et la mutualisation des sillons à l’échelle continentale.

Quels obstacles freinent encore le développement du ferroutage ?

Le fret ferroviaire en France se heurte à un faisceau de blocages qui ralentissent nettement son essor. Premier mur : la saturation du réseau ferré national. Les voyageurs sont prioritaires, les sillons ferroviaires réservés au fret se font rares, et la vétusté de certaines lignes complique les circulations. Résultat : manque de fiabilité, délais, et découragement pour les industriels.

Autre frein décisif : le poids des péages ferroviaires. En France, le coût d’utilisation du réseau frôle les sommets européens. De quoi inciter les chargeurs à préférer le camion, plus flexible et moins onéreux. Ce système, censé financer l’entretien du réseau, peine à générer les marges nécessaires pour de véritables rénovations.

L’harmonisation européenne, elle aussi, avance au ralenti. Sur l’axe France-Italie, la nouvelle ligne Lyon-Turin accumule les retards, coincée entre lourdeurs administratives et multiplication des interlocuteurs. Là où la Suisse, l’Autriche et l’Allemagne ont su coordonner leurs efforts, la France reste à la traîne.

  • Peu de terminaux multimodaux performants
  • Cadrage réglementaire complexe
  • Manque de signaux stables pour inciter les chargeurs à passer au rail

La commission européenne multiplie les rappels à l’ordre : il est temps d’accélérer l’ouverture des marchés et d’augmenter les investissements. Pourtant, les annonces peinent à se traduire en projets concrets sur le terrain hexagonal.

transport ferroviais

Cap sur l’avenir : quelles perspectives pour relancer le ferroutage en France ?

Relancer le ferroutage, ce n’est pas seulement une question de rails, c’est un changement de dimension qui s’impose, des infrastructures à la gouvernance. Plusieurs axes majeurs se dessinent dans les débats, en France comme à Bruxelles.

Le projet Lyon-Turin concentre toutes les attentes. Ce corridor stratégique entre la France, l’Italie et le sud de l’Europe doit permettre un basculement massif du fret routier vers le rail. La nouvelle ligne, en construction, sera taillée pour accueillir des trains longs, adaptés à la logistique d’aujourd’hui. Mise en service prévue : horizon 2032. Ce chantier pourrait bien rebattre les cartes sur tout l’arc alpin.

Autre levier : la modernisation des gares de triage, véritables nœuds du réseau. À Perpignan, au Boulou, à Calais ou sur l’axe Seine-Nord, des investissements ciblés pourraient libérer le potentiel de l’autoroute ferroviaire et du transport combiné. Les ports, à l’image d’Haropa Port, cherchent à raccrocher leurs terminaux aux grands corridors ferroviaires pour mieux s’arrimer aux flux européens.

  • Réouverture de la ligne Montpellier-Perpignan : clé pour fluidifier les échanges avec l’Espagne et le sud du continent
  • Contournement Nîmes-Montpellier : indispensable pour désengorger les axes existants

Le soutien de la commission européenne, couplé à des coopérations franco-italiennes renforcées, sera déterminant. L’enjeu : hisser la France au rang de carrefour du fret ferroviaire européen, capable d’unir les grands flux Nord-Sud et Est-Ouest, tout en relevant le défi climatique. Reste à savoir si le pays saura saisir l’aiguillage qui s’offre à lui… avant que la dernière rame ne passe.